samedi 6 septembre 2008

Epilogue

  • Un lien vers l'album Alaska en 5 minutes, une sélection de 50 photos, aussi disponible dans le menu de droite.
Il y a une forme particulière de blues, c'est celle du voyageur parvenu au terme de son périple, surtout si celui-ci était riche en émotions et en découvertes. C'est un peu mon état d'esprit au moment de revenir dans le monde ultra-civilisé (trop ?) parisien. En effet, même si j’envisage de revenir un jour en Alaska, par exemple pour faire deux semaines de rando à Denali ou pour visiter les forêts pluviales et les glaciers gigantesques du sud-est, c’est bien la dernière fois que je verrai l’Alaska pour la première fois ! En même temps, je me réjouis aussi de revenir à Paris. Toutes ces immensités qu’elles soient majestueuses où désolées créent, à la longue, une sorte de lassitude difficile à expliquer. Certains parlent ici de glacier fatigue en ce qui me concerne ce serait plutôt toundra fatigue. Envie aussi de petits villages croquignolets en Sologne et en Normandie que l’on peut visiter à pied. Envie de théâtre et de jolies terrasses ensoleillées dans le beaux quartiers de Paname.

Mais restons encore quelques instants en Alaska. Pourquoi venir ici d’abord ? Comme pour bien des voyages, celui-ci commença par un vague fantasme. Une envie de grand large tout simplement. De voir le monde sous un angle insolite. Une envie aussi de faire un remake de mon expédition dans l’Ouest Américain de 1993, l’un de mes voyages les plus réussis. L’ivresse des espaces sauvages dépasse toutes mes attentes même si, en grande partie, l’image inconsciente que je formais de l’Alaska était fausse. Ce n’est pas un pays uniquement minéral, gelé et aride, en tout cas pas les parties que j’ai eu la chance de voir. La toundra d’Alaska durant la période magique de l’été indien est peut-être le paysage le plus multicolore qu’il soit possible de voir sur cette planète. A plus d’une reprise je dois avouer que j’ai eu la gorge nouée devant le spectacle simple et intimidant de cette nature intacte. Sur la Nabesna Road ou au Wonderlake, face au Mt McKinley teinté, l'espace de quelques minutes, d'un rose-mauve presqu'iréel. Beau à pleurer prends alors un sens très concret. Une question qui m’a souvent traversé l’esprit est « comment se fait-il que nous percevions cette nature intacte comme belle ? ». S’agirait-il peut-être d’une sorte de nostalgie collective des temps immémoriaux, il y a 10 millénaires, où nos ancêtres arpentaient un monde similaire ? Une nostalgie du monde d’avant la civilisation ? L’idée me semble un peu trop romantique pour être scientifique, mais je l’aime bien.

Ce qui est émouvant je crois, c’est qu’ici en Alaska existe un authentique sanctuaire de nature inviolée à nul autre pareil, en diversité (faune, flore) et en taille. La superficie des espaces rigoureusement protégés est colossale et avoisine les 30% de superficie de l’état. Etrange pays que les USA, qui tout en étant le plus grand pollueur de la planète décide, dans un seul de ses états, de déclarer parc national une superficie qui dépasse largement en superficie celle des zones protégées de tous les pays européens réunis.

Au-delà des paysages, il faudrait dire quelques mots sur les hommes et sur l’histoire. L’histoire de l’Alaska me fascine à plus d'un titre. D'une part elle relève de l’exploration récente des dernières pages blanches de l’atlas et rien ne me fait plus rêver que ça. Ce matin au musée d’art et d’histoire d’Anchorage, je suis longtemps resté scotché devant la carte du monde qu’à utilisé Béring pour explorer ces confins où on ne sait plus très bien où est l'est ou l'ouest (de l'Europe). A la place de l’Alaska, il y avait... rien ! Mais avant Béring il y avait les Athabascans et les Aléoutes venus des confins de la Sibérie orientale lorsqu’un isthme reliait encore l’Asie et l’Amérique il y a 12'000 ans. Depuis l’arrivée des trappeurs russes dans l’île de Kodiak au milieu du 19ème siècle, l’histoire de l’Alaska est étroitement liée à une succession de booms économiques et de périodes de récessions. Au premier boom des fourrures succéda l'épisode romantique des ruées vers l’or en 1898 et en 1908. Puis en 1968 un peu moins romantique la découverte de gisements géants de pétrole à Prudoe Bay. Puis... le tourisme ? A voir. D'autre part cette histoire, géographiquement centrée sur le Détroit de Béring, sort complètement du schéma méditerranéen qui façonne inconsciemment notre vision du monde (en tout cas la mienne !) et je trouve que ça aère l'esprit.

Aujourd’hui en Alaska, la grande question c'est celle de l'énergie. Ces enjeux sont ici, plus qu’ailleurs encore, au cœur du débat politique et de l'économie. D'une part cette énergie on l’extrait à grand renfort de milliards de dollars des gisements pétroliers arctiques et d'autre part on la consomme en grande quantité pour alimenter les avions (un habitant sur 68 possède son propre avion) les pickup trucs avec leur vorace V8 de 6 litres, les moto-neiges et autres engins plus farfelus qu'utilisent les chasseurs (mini-hydroglisseurs, quads,...). L’idée d’économies d’énergie semble avoir encore du chemin à faire dans ces contrées septentrionales. Mais comment faire alors pour franchir ces énormes distances ? Revenir aux attelages de chiens de traineaux comme pour la course Iditarod ? Pas très réaliste ! Construire un réseau routier ou ferroviaire reliant chaque petite communauté ? C’est sans doute possible pour un prix colossal mais surtout, apparait terriblement contradictoire avec la tradition et la mentalité individualiste qui règnent ici.

Il faudrait aussi parler des gens qui habitent ici, mais c’est difficile après seulement 4 semaines passées quasiment en coup de vent. Disons que des mots comme : fierté, autonomie, courage face à l’adversité et la solitude sont ceux qui me viennent le plus facilement à l’esprit. Pas de place ici pour les plaintifs et les demandeurs de subventions gouvernementales ! L’homme ou la femme exemplaire correspondent ici à l’archétype même de la réussite à l’américaine : le chercheur d’or qui s’enrichi à force de persévérance, le constructeur du Trans Alaska Pipeline qui travaille entre 70 et 84 heures par semaine et qui est payé 5 fois au-dessus du salaire moyen pour construire en quelque mois un oléoduc qui achemine du pétrole chaud (sic) à travers 800 miles de taïga gelée. Ici, on aime les héros et on ne fait pas dans la demi-mesure comme l'exprime bien la devise locale : « work hard ! play hard ! drink hard ! »

La fierté est ce qui m’a le plus marqué de la part des gens , tous modestes, avec qui j'ai eu l'occasion de discuter. Fierté de la mamy de l’expresso shop sur Richardson Hwy quand elle apprend que le gouverneur Sahra Palin va peut-être « monter » à Washington. Fierté du gars qui régule la circulation et qui me demande en désignant l’Alaska Range un matin de ciel transparent : « isn’ that wonderful ? » Fierté de la pimpante ranger Casey lorsqu’elle évoque la manière de vivre des « sourdough » (ceux qui ont survécus ici plusieurs hivers) dans l’out back alaskien, non loin de Denali NP. En Alaska, on est fier et on redoute bien davantage ce qui pourrait entraver la liberté (de forer le sous-sol, de chasser, de se déplacer, de traverser la toundra en 4x4, de faire du business) plutôt que l’absence de protection sociale. Il serait assez aisé et aussi assez peu original de stigmatiser les évidentes déviances de cette mentalité, aux antipodes de la tradition exagonale. Raison pour laquelle je considère plus constructif de reconnaître qu’un zeste de cette fierté et de cet esprit d’autonomie seraient assurément profitable à notre vieux continent et à ses esprits en permanence angoissés à l'idée d’être insuffisamment protégé par l’état-providence.

Pas de place non plus pour une culture très rafinée, hormis quelques galeries d’art à Homer ou quelques concerts de blues et de country à Anchorage. La culture ici c’est la chasse, les compétitions de pêche au saumon. Les loisirs c'est le camping-car avec lequel, pendant les 3 mois d’été, on emmène toute la famille dans des endroits tellement grandioses qu’il ferait pâlir d’envie n’importe quel randonneur des Alpes ou des Pyrénées.

Bon et alors il n’y a rien de négatif à dire ? Sans doute si, mais j’ai pas envie d’insister sur ces aspects car je trouverait un tantinet ridicule et inconvenant de prendre une posture de juge après avoir jouer les globe trotter pendant 4 semaines. Ce que je peux dire, à titre personnel, c'est j’aurai certainement du mal à me faire à une mentalité provinciale, ultra conservatrice et même anti-urbaine assez répendue ici (écouter p.ex l'un des podcasts du Dan Fagan show sur KFQD 750). Je comprends qu’on soit légitimement fier d’être les héritiers des pionniers et que l’on veuille coûte que coûte préserver un art de vivre fait d’indépendance farouche dans les grands espaces. Mais, à la longue, une forme d’in-curiosité au sujet du monde extérieur, même des « lower 48 », me pèserait et m’agacerait. L’inculture va dans certain cas jusqu’à nier des réalités scientifiques comme le réchauffement climatique d’origine humaine ou l’existence de la théorie de l’évolution (cf. les Palin et les créationnistes). Il règne ici une mentalité un peu insulaire, avec son mélange d’attitude complexée et agressive vis-à-vis des centre urbains comme New York ou LA où, du moins selon les conservateurs purs et durs, vivent un mélange de présomptueux gauchistes et de mauviettes ayant perdues tout sens des vieilles et saines valeurs américaines traditionnelles.

Cela dit, le nickname de l’Alaska « The Last Frontier » n’est pas usurpé. L’esprit des pionniers y est encore vivace. En 2008, pour le meilleur et pour le pire, il flotte encore ici un authentique parfum de l’ancienne conquête de l’Ouest. Alors allez-y sans hésiter, le souffle des grands espaces vous aérera l'esprit comme dans aucun autre contrée.

And remember :



-- THE END --

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bravo Pirmin !

Et un grand MERCI pour nous avoir fait vivre quasiment au jour le jour une aventure fantastique, insolite (en tout cas pour moi), rafraîchissante et dépaysante, avec humour et simplicité. Merci encore pour ces magnifiques photos qui n'en finissent pas de faire rêver.

Et surtout, bon retour à Paname.

Bien à toi,